#1

24 février 2025

Voilà un peu plus d’un mois que j’ai commencé à organiser mon départ de Facebook, sous l’effet conjugué l’arrivée au pouvoir de Trump, de l’agitation délirante de Musk, et des propos nauséabonds de Zuckerberg.

Ce à quoi on assiste, on ne sait pas encore bien le nommer… Ça ressemble fort à une bascule, ou à une plongée plus profonde des États-Unis dans le capitalo-fascisme. On voit combien la résistance des contre-pouvoirs est faible, face à la mainmise des Républicains convertis au trumpisme sur l’État Fédéral et sur la Cour suprême, avec la collaboration très active de l’ensemble des géants du numérique.

Peu à peu, la menace, que j’avais toujours envisagée sans agir sérieusement pour m’en protéger, est devenue plus réelle, plus imminente et plus immédiate, tandis que l’enchaînement rapide des événements au moment de l’investiture de Trump le 20 janvier (ralliement des Gafam, salut nazi d’Elon Musk, création du DOGE…), augmentait mon anxiété et mon désir de réagir.

Ça fait longtemps qu’on sait ce qui nous pend au nez. Longtemps que M. me répète « si c’est gratuit, c’est toi le produit ! ». Longtemps qu’on décoche les cookies en pensant que c’est bien insuffisant… Mais peut-être que par paresse, par une sorte d’acrasie coupable, nous sommes nombreuses et nombreux à nous être douillettement installé.es dans le confort luxueux proposé par les machines qui nous offrent, en échange d’un peu de nos vies, continuité, performance, vitesse, simplicité d’usage, et nous ont permis de réduire drastiquement la quantité d’efforts à fournir pour travailler, communiquer, rencontrer, discuter, rire, téléphoner, s’informer, se déplacer, filmer, stocker des données, écrire, être lu.e, trouver un restaurant, un hôtel… Nombreuses et nombreux à avoir renoncé à nos valeurs, à avoir accepté de partager nos données avec ceux qui nous offraient gratuitement ces luxueux outils, nombreuses et nombreux, en somme, à nous être laissé piéger.

Mon histoire personnelle et militante, ma formation intellectuelle, philosophique et politique m’ont appris qu’on ne pouvait pas dire qu’on était impuissant.e, parce que ce n’est jamais tout à fait vrai. Qu’on ne pouvait pas tranquillement se laisser croire à soi-même qu’on n’y pouvait rien, sans perdre des plumes, au moins des plumes éthiques. Qu’on ne pouvait pas renoncer à son propre pouvoir d’agir sans abandonner en même temps un peu de son âme.

Et ça fait longtemps que je me dis, en soupirant un peu, « on ne milite plus ». Et que je ne vois pas de lieu, pas de collectif, pas d’organisation qui fasse suffisamment sens pour que je trouve de l’énergie à investir. Peut-être que dans ce moment socio-historique, dont on ne sait encore presque rien, il y a paradoxalement un carburant qui relance en moi quelque chose, comme une énergie de lutte.

Dégafamiser sa vie est peut-être vain. Mais le mouvement que cela demande : renoncer au confort numérique, réapprendre à faire des efforts, cesser de déléguer notre vie numérique, notre information, notre culture, notre intelligence, nos liens… à des machines folles pilotées par des individus dangereux, aujourd’hui, pour moi, ce mouvement prend sens.

C’est un mouvement intérieur en même temps qu’un mouvement en lien avec le monde, un travail, un ensemble d’actions à mener, seule et avec d’autres. C’est cela que je veux documenter dans ce journal. Je ne sais pas vraiment si ça aura un intérêt. Mais j’ai l’intuition que la combinaison d’une bascule politique sans précédent et d’une prise de conscience intime de l’urgence de modifier son rapport à la technologie va constituer une expérience dont je veux garder la trace.


2 réponses à “#1”

  1. Avatar de SG
    SG

    je reste parce qe justelent les compagnons de petite lutte au ras du réel y sont ( compirs nous et les appels à aide mutuels autres que ceux avec lesquels sommes. en liens directs -me persuade que c’es une façon de leur faire un pieds de ez (et je n’y rencontre personne d’infréquentable)

    1. Avatar de Juliette Cortese

      Bonjour Brigitte ! Oui, c’est sur l’information locale que la perte est la plus évidente. Ça me questionne aussi que des associations de terrain, militantes voire politisées, ne soient pas en train de songer à la manière dont elles protègent leurs données. C’est sûr que la priorité la plus immédiate est sans doute de communiquer des événements… Pour autant je crois que le problème nous est posé plus largement, de comment réinventer la communication en dehors des espaces acquis aux gafam.