J’ai repéré au moins deux couches : celle qui se déroule, telle un présent simple, qu’on peut regarder passer, par exemple mes jambes de femme sont arrivées peu à peu, et l’épaule, et le moment où j’ai quitté la ville… et celle qui ne se déroule pas, mais qui existe en dehors du temps, telle une matière fragmentaire, pure, emmêlée, sensations et pensées qu’on ne peut dire, seulement bredouiller.
Une couche s’étale à plat ; l’autre se bredouille en boucle, en nœud, flaque.
Ici Rainer Maria Rilke arrive de bon matin, rasé de frais, et m’embrasse les mains avec fougue. Dans la nuit, le neveu de Colbert a parlé au mur, l’aube a réveillé le peintre, Chopin s’est pendu et les platanes ont tout entendu, même la musique fausse du jour.
Là je suis assise toujours sous le même arbre, ma transformation se poursuit, le mois est en son milieu. L’histoire est bientôt finie. Nous séjournons sereins dans l’attente du départ, sans savoir où nous irons ensuite, occupés seulement d’habiter le présent.