Ensuite j’ai essayé d’expliquer à la femme rousse ce que c’était que les sensations nouvelles. Quand j’essaie d’expliquer, ça tourne vite aux bredouilleries : cette affaire de bredouiller quelque chose, et d’après rentrer bredouille du langage. Mais quand même. Les sensation nouvelles, c’est une bigarrure de moi-même, c’est-à-dire, le sentiment intérieur d’être marbré. Il faut dire que ça n’est pas arrivé d’un coup, comme quelqu’un frappé par un éclair ou transformé en crapaud, pas comme cette fille qui voit ses vêtements changés en guenille à un coup de cloche. Non, les jambes un jour je me suis dit, elles sont plus pareilles. Elles avaient piqué quelques fois, donc (les orties), mais piqué vraiment, hein, pas le grattouillage des jours de chaleur. Là, c’était les grands grattouillis du sang qui tente de sortir par les pores de la peau qui le retiennent. Bref, ça a bouillu du sang qui pique là-dedans, ça s’arrêtait pas pendant un moment et puis, un beau jour paf, j’ai regardé mes jambes qui étaient de femme. C’est ça qui est tombé, pas d’autre mieusette à dire pour expliquer. Un jour c’était pas là, un jour ça piquait. Un jour c’était là, et depuis c’est marbré, voilà tout.
On est au-delà d’expliquer. Je pense toujours que ces jambes qui me sont arrivées sont tes jambes à toi. Nous n’avions pas de sentiers plus amples que nos voix jetées à travers le ciel, pas d’amitiés plus vastes que les promenades d’automne. C’est ce qui fait que peut-être tes jambes me sont venues.