50 octobre

Tandis que le soleil se couche et nous jette son œil borgne et furieux, je crie, je suis personne. Personne n’a jamais eu ça avant. Je crois pas. Je pense pas avoir entendu quelque chose de ce genre. Les jambes qui deviennent de quelqu’un d’autre, d’abord, puis qui sont les vôtres mais d’un autre genre. J’ai dit en bredouillant Ce genre de choses n’arrive pas souvent, j’ai entendu la femme derrière moi, qui m’écoutait, sourire. Est-ce que mes oreilles ont changé pour entendre sourire quelqu’un en silence ? C’est que j’ai une sorte de sollicitude pour le monde, désormais. Désarmé. Je me sens désarmé de ces perceptions nouvelles : ça ferait sourire quelqu’un et je l’entendrais, ce sourire en silence. Comme un faux pas qui se révèle à vous sans qu’on vous dise rien. Vous êtes coulée dans votre gribedouillage de jambe changée et puis soudain, paf, vous entendez un sourire qui claque sans aucun bruit dans le silence. L’écoute éloquente. L’accent tonique de la parole non dite. Ce qui se couche sur vous, une frondaison, je veux dire, une onde, j’entends un tremblement invisible qui s’approche et vous touche les tympans du corps, ça vibre doucement. Et voilà, c’est trop tard, vous avez entendu dans le silence, le sourire. Est-ce que je l’aurais perçu sans mes jambes de femme ? Je ne crois pas avoir déjà ressenti une telle chose.