Longtemps mes pieds regarderaient le jardin. Ce n’est pas tout à fait une figure de style. Mes orteils ont un angle de vision meilleur que le mien. Ils voient l’herbe haute au pied de l’arbre, le cafard qui opine sur le trottoir, ils attrapent d’autres reflets dans les flaques, ceux que je ne vois jamais. En vérité je ne vois pas grand chose. Je me déplace pour compenser. Mes pieds sont là, au bout de mes jambes, à regarder devant, leurs yeux crépitent comme des fleurs de bitume. Ils ont leurs interstices d’orteils, ils ont leur existence, leurs conflits, leurs désespoirs passagers, leurs paradoxes qui les tenaillent. Ils restent là. Ils me tiennent.