51 décembre

Où ce qui s’ébrèche n’empêche pas les reflets du monde, et la lumière jusqu’au bout.

J’étais en train de marcher dans une rue sombre un peu. Je croise un grand marabout d’homme perché sur des jambes longues longues, au moment où il passe à ma hauteur, voilà que je me tords une de mes chevilles de jambes de femme. J’ai chu sur lui, il s’est pris ses jambes dans moi, et on s’est tombés dessus pour ainsi dire.

Lorsqu’on s’est relevés il était bougon, je peux le comprendre. Par réflexe on s’est mis sous le lampadaire pour se regarder le museau, et là, je reconnais des traits égarés loin dans ma mémoire, un petit gars que j’avais surveillé à l’époque où j’étais pion, l’impression d’une autre vie, loin, loin, avant les mésaventures, avant toi, avant la femme rousse au tailleur blanc, avant mes jambes et mes épaules de femme, avant toute cette sorcellerie qui m’arrive depuis des mois. Je lui ai dit “Elias ?” et il m’a répondu en m’appelant par mon prénom et en me dévisageant longuement, tête, épaule, jambes… J’avais peur de sa réaction, tu penses, première fois que je recroisais quelqu’un d’avant tout ça ! Suspendu un peu à son regard, j’avais tous les souvenirs de ce petit interne de onze ans, déjà long et maigre, à faire un peu des conneries mais gentil au fond, qui défilaient vite vite. Et le voilà qui me prend contre lui chaudement, une sorte de longue accolade solidaire, et sans rien dire. 

Puis il est parti comme ça, toujours presque muet, disant seulement “bon courage”. 

C’est vrai. Ça s’est passé comme ça et je me suis demandé ce que ça pouvait bien signifier, des coïncidences pareilles.